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Visiteur à la maison d’arrêt « Bonne nouvelle »

Souvenons nous, il y a un peu plus d’un an, les banderoles fleurissaient les entrées de villes et de villages, à Canteleu, à Mesnil Esnard, à Bonsecours, à Bois Guillaume, à Bouville, à Moulins Ecalles, à Quincampoix, à La Neuville Chant d’Oisel, à Oissel, de droite et de gauche..

Chacun y allait de son indignation, de sa pétition. La prison ? « not in my backyard » ; pas dans ma commune. Et les mêmes, de jurer, « la main sur le coeur », qu’ils n’étaient pas insensibles, loin s’en faut, à « la condition inhumaine et dégradante des détenus » de la maison d’arrêt de Rouen qui avait valu à l’Etat plusieurs sévères condamnations.

Quelques changements sont intervenus dans l’intervalle..

Une Ministre nouvelle amorce un changement de politique pénale. S’agissant de l’état de notre prison, des jugements ont pris le contrepied des précédents.

Pendant ce temps, l’administration pénitentiaire a continué à faire « avec les moyens du bord ». Dans l’indifférence des « indignés » de fin 2011- début 2012. Soulagés, (UMP compris ?) par l’abandon du pharaonique programme sarkoziste de construction de centres pénitentiaires. Pressés de regarder ailleurs.

Le rendez vous avait été pris il y a quelques mois lorsque j’avais répondu à l’invitation de l’ami-avocat Etienne Noël de l’accompagner à Bonne Nouvelle pour le dépôt d’un stock de la dernière édition du guide des prisonniers , édité par l’Observatoire international des prisons (OIP), à la bibliothèque de la Maison d’arrêt.

Fin 2011, choqué par les réactions « nymbistes » de mes collègues élus, j’avais accompagné Etienne dans son combat judiciaire. En prenant avec lui l’initiative d’un appel  et d’une pétition prenant le contre-pied de ce que nous ressentions comme une hypocrisie générale. Et nous avions été les premiers surpris de son écho.

Monsieur Gély, son Directeur, m’avait donc invité à revenir pour une visite complète de l’établissement. Je m’y suis rendu mardi 26 mars dernier.

Est ce parce que les « visites d’élus sont rares » ? Stéphane Gély avait prévu le temps nécessaire. Il parle de son lieu de travail pas commun (enfermement?), de ses missions, des personnes sur lesquelles ils exerce l’autorité de l’Etat, – les personnels, les détenus « les plus pauvres parmi les pauvres » – avec la (com)passion de celui qui vit là depuis 2007 et en a sans doute vu des vertes et des pas mures, mais sans jamais se départir du respect qui est du à tous.

J’ai échangé au gré des déplacements avec des personnels de surveillance ouverts, ne refusant pas d’exprimer leurs avis sur l’évolution du système carcéral. Et aussi avec quelques détenus. Sans illusion sur l’authenticité de ces échanges et regards furtifs, évidemment conditionnés par l’a-symétrie et l’inégalité de nos conditions.

La visite commence par la vue d’ensemble de la maquette de la prison.

La vieille dame est née en 1863. Construction typique de l’époque, en étoile, avec 5 ailes, une pour les mineurs, une pour les femmes, les trois autres pour les hommes.

Aux règles actuelles, la prison peut au maximum accueillir 648 détenus dans 372 cellules.

Le jour où je l’ai visitée, 586 personnes s’y trouvaient incarcérées. Dans une aile, 22 femmes pour 69 places de détention. Dans une autre aile, 4 mineurs pour 32 places. Les 560 hommes étaient répartis dans les 3 ailes qui leur sont réservées.

– Une d’environ 300 places, pour les condamnés définitifs (peines de moins de 2 ans).

– Une autre de 200 places où sont détenus, dans des cellules distinctes depuis 2007/2008, des prévenus et des condamnés.

– Une troisième où on trouve des cellules réservées à l’isolement pour raison disciplinaire, mais aussi un quartier sanitaire et d’hospitalisation de jour et une trentaine de places réservées pour les premiers jours des nouveaux incarcérés.

Ces derniers font là l’objet d’une « observation » destinée à évaluer leurs besoins de soins, leurs souhaits d’activités et de formation, leurs profils, ceci préalablement à leur affectation dans une cellule ou une autre, choix qui est opéré par une commission pluri disciplinaire.

La prévention du risque suicidaire y est prise très au sérieux. Les personnes en danger font l’objet d’un suivi spécifique. Mr Gély souligne ainsi cette donnée statistique qui montre que les personnes suicidaires avaient en général les jours précédant leur actes commis des violences à autrui. C’est « une violence à 180° » que les auteurs finissent par retourner contre eux mêmes. Il n’y pas eu de suicide depuis 2011.

Un petit 40% des détenus, tous volontaires, sont en formation ou exercent une petite activité rémunératrice dans des ateliers de façonnage de papier carton, au service général (cuisine centrale, service des repas, travaux d’entretien) en échange de 25 à 33% du Smic. Les métiers du bâtiment et les métiers de bouche sont au programme de la formation professionnelle mais ont moins de succès que la formation aux entreprises virtuelles.

« Personne ne travaille par vocation ou par plaisir dans un lieu de privation de liberté » dit le directeur de Bonne Nouvelle avec l’approbation des surveillants présents.

Les personnels ? Ils sont 240 qui travaillent à Bonne Nouvelle. En 7 équipes de 14/15 surveillants. Qui se répartissent à 70/75 chaque jour et .. 13 la nuit (pour 600 détenus!).

Les détenus y restent en moyenne pour une durée de 124 jours . Le turn over est incessant.

Avant de me montrer les secteurs de détention, le responsable d’établissement n’a pas manqué de souligner les investissements qui ont été réalisés pour rénover la prison. Chaque cellule a ainsi été repeinte. Les literies ont été changées.

Le vent aurait il tourné depuis 2001 où Bonne Nouvelle semblait promise à la fermeture pour insalubrité?

Nécessité budgétaire où conviction de fond ? (ou les 2?), le gouvernement a abandonné l’industrialisation qui était au programme de la droite avec la construction de 20 000 places de prison supplémentaires sous un régime de partenariat public-privé pervers qui aurait porté les concessionnaires à vouloir remplir leurs prisons pour les rentabiliser !

Les décisions judiciaires, peu à peu, sont manifestement moins orientées par la recherche de l’emprisonnement et un peu plus par celles des peines alternatives (bracelets électroniques..). Et la cour d’appel du tribunal administratif vient d’estimer que le traitement des détenus de Rouen n’était plus inhumain…

Une simple visite guidée donne une idée, certes superficielle j’en conviens, de là où nous en sommes.

La majorité des cellules fait environ 12 m2 et est occupée, coté hommes, par deux voire trois détenus. Pourtant, selon le comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, chaque détenu doit disposer à minima de 7m2. De nouvelles règles européennes, contraignantes, sont annoncées pour 2014.

Je n’ai pas été surpris, cela a récemment fait l’objet d’un récit imagé dans Grand-Rouen : les toilettes ont dans chaque cellule fait l’objet de travaux de cloisonnement qui ne protègent pas des nuisances olfactives ou sonores.

En revanche j’ai exprimé ma stupéfaction, alors qu’on me montrait une batterie de douches propres, « nettoyées plusieurs fois par jour », apprenant que les détenus, dans le secteur des hommes, n’y accèdent, par roulement, que 3 fois par semaine !

Au IXX ème siècle, Bonne Nouvelle inventa les douches. Mais nous sommes au XXI ème !

J’ai aussi constaté, pour cause de surpopulation, les limitations d’accès aux activités sportives, si essentielles, pour des personnes confinées dans quelques mètres carrés mal aérés.

J’ai vu le quartier des femmes, sa pouponnière (on naît en prison). Celui des mineurs (faut il qu’ils soient là?). Je me souviendrai des regards.

Les gardiens qui en on parlé ne souhaitent pas la démolition de Bonne Nouvelle.

Plus adaptée aux transferts quotidiens vers le Palais de justice. Plus accessible aux personnels et aux familles de détenus grâce à la desserte des transports publics urbains.

Plus humaine, plus secure : « ici on a des clés, d’une coursive à l’autre, d’un étage à l’autre, en cas de besoin, on peut se parler entre collègues… ce qui n’est pas le cas dans les nouvelles prisons où les clés électroniques ont remplacé les anciennes et où le cloisonnement, la lumière artificielle, sont la règle… »

Alors, faut il garder Bonne Nouvelle ? En dépit du professionnalisme et de la conscience humaniste du Directeur et sans doute de la plupart des personnels, je persiste à penser, comme Etienne Noël, que les conditions actuelles de détention ne sont pas dignes.

Oui la politique de Christiane Taubira est clairement progressiste en comparaison de celles qui étaient de mise depuis 10 ans.

Oui le délirant programme de constructions a été stoppé. Mais il est quand même prévu 3000 places nouvelles (au lieu de 20 000) et la solution PPP n’est à ma connaissance pas écartée.

Oui les alternatives à l’incarcération semblent promues. La fin des peines planchers et celle de la rétention de sureté qui autorise à prolonger les peines au delà de leur exécution par décision administrative, sont annoncées par la Ministre sans toutefois être confirmées.

Oui, dans l’absolu, les petits centres de détention, du type de Bonne Nouvelle, au coeur de la cité, bien desservis, sont plus vivables, pour les salariés comme pour les détenus et leurs familles ainsi que pour tous les intervenants sociaux et avocats.

Mais alors il faut aller au bout de la « rénovation  » pour garantir à tous espace vital, douche quotidienne, toilettes décentes, pratique des activités sportives. Et la solution n’est pas impossible mais suppose juste d’aller aussi au bout d’une logique accomplie : celle de la suppression de la surpopulation. Un numérus clausus qui interdirait de mettre un seul détenu de plus qu’il n’y a de place. A 350 ou 400 détenus, Bonne Nouvelle accueillerait dignement !

Il s’agit là de missions régaliennes de l’Etat. Aucun élu local ne devrait cependant s’estimer exonéré de ce chantier de dignité humaine.

Sur les 600 personnes actuellement détenues à Rouen, 90% sont des habitants de la région. Ils l’étaient avant. Ils le resteront après, pour la plupart.

Une approche efficace du problème appelle mieux qu’une visite par ci, ou un 5000 mètres par là (ce qui ne retire rien, au contraire, au mérite de mon collègue, Kader Chekhemani, fidèle à la course qui se déroule annuellement dans l’établissement!) :

Les Parlementaires, qui font la loi, sont les seuls à avoir droit d’accès aux prisons, ils s’y font rares.

Les afficheurs de banderoles de 2011/2012 avaient des raisons plus ou moins valables de s’opposer au transfert de la prison sur leur territoire. Ils ont aujourd’hui l’occasion de se projeter sur les solutions.

Nous avons chacun et tous la responsabilité d’agir pour que le nombre de délinquants diminue et pour limiter la récidive des comportements délinquants.

– Dans chaque commune et intercommunalité, via les conseils de sécurité et de prévention de la délinquance qui mettent tous les acteurs concernés autour de table.

– Via l’incontournable action sociale des Départements auxquels il appartient de conforter les services de prévention spécialisée plutôt que de les déshabiller comme vient de le décider le CG 76

– Via les missions futures des Régions. Depuis 2012 la Région Hte Normandie a commencé à apporter son aide aux actions de l’OIP. A partir de 2014, elle sera comme toutes les régions françaises, chargée de la formation professionnelle des détenus. En lien avec ses interventions et ses réseaux économiques, elle pourra aider les ex détenus à obtenir le meilleur des passeports contre la récidive, celui de l’accès à l ’emploi.

Angélisme ? Ca vaut mieux que l’indifférence ou la ségrégation !

Et comme j’entends déjà les vociférations de ceux qui prétendent se préoccuper des victimes plutôt que des délinquants, j’ajouterai que changer d’approche en matière pénale et en matière de répression, est aussi notre intérêt bien compris. Que moins de personnes franchissent la ligne banche de la délinquance et de la violence. Que plus bénéficient d’une aide effective à la deuxième ou à la troisième chance.

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POUR UN NEW DEAL ÉCOLOGIQUE écologiste, conseiller régional de Normandie