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UN NEW DEAL EUROPEEN, ECOLOGISTE ET SOCIAL

Point de vue

Un New Deal européen, écologiste et social, par Dominique Voynet LE MONDE | 11.11.08 | 14h02

Ceux qui font la loi sur les marchés ont échoué, par leur entêtement et leur incompétence. Ils ne connaissent que les règles d’une génération d’égoïstes. Ils n’ont pas de vision, et là où il n’y a pas de vision, le peuple périt. Dans le temple de notre civilisation, les financiers sont tombés de leur piédestal.
Nous sommes le 4 mars 1933, au plus fort d’une crise qui plonge les Etats-Unis dans la dépression : Franklin D. Roosevelt inaugure son premier mandat. Il va révolutionner l’Amérique, et changer le monde. Ces années d’après le krach verront la naissance de l’Etat-providence moderne :
Le devoir central du gouvernement, dit encore Franklin Roosevelt, est de venir en aide aux citoyens victimes d’une adversité telle qu’ils ne peuvent accéder aux simples nécessités de l’existence sans l’aide des autres.

Face à l’adversité ? Nous y sommes. Et la crise que nous vivons aujourd’hui pourrait être plus brutale encore que la Grande Dépression des années 1930. Par ses effets sur l’économie réelle, évidemment ; par son impact bien concret pour des millions de personnes, dans notre pays et dans le monde, acculées au désespoir et à la révolte. Mais aussi – et peut-être surtout – en ce qu’il est, cette fois-ci, radicalement exclu d’attendre que tout redevienne comme avant. Cela n’arrivera pas.

La crise financière – et maintenant économique et sociale – occupe tous les écrans, mais les autres crises demeurent. Et se conjugueront durablement, car elles sont des crises structurelles. Celle de l’énergie, malgré le très provisoire recul des prix pétroliers ; celle de l’alimentation, qui s’aggrave parce que quelques riches nations, droguées à la voiture, ont décidé de brûler des céréales comme carburants ; celle du climat, dont chaque nouvelle publication scientifique nous confirme la gravité et, pire, nous indique que nous persistons à la sous-estimer. Le système financier peut bien être sauvé, la crise économique s’atténuer, toute tentative de faire comme s’il ne s’était rien passé, de relancer la même logique prédatrice, se heurtera au réel.

On peut choisir de faire l’autruche, et aller répétant que toutes nos difficultés viennent de la crise financière. On peut aussi – c’est être lucide – admettre que la crise actuelle est une convulsion, un symptôme des contradictions fondamentales du modèle de développement de ces trente dernières années.

En transformant l’économie planétaire en économie de casino, en confinant les pays du Sud au rôle d’atelier manufacturier du monde, en ruinant les agricultures paysannes, en détruisant sans vergogne la ressource écologique, en disséminant la guerre pour l’appropriation de la rente écologique, ce système a sapé jusqu’aux bases de sa propre croissance. Il a au fond commencé à détruire les compromis sociaux et les ressources écologiques sans lesquels aucune économie ne peut prétendre produire et partager durablement quelque forme de richesse que ce soit.

Rafistoler ne suffit plus, et n’a même plus de sens. Comme Roosevelt en 1933, comme le gouvernement de Front populaire en 1936, nous n’avons d’autre choix que d’explorer l’inédit. L’heure est à l’invention d’un nouvel Etat-providence. Mais il sera, nécessairement, aux dimensions de l’Europe, seul espace potentiellement porteur des aspirations et des transformations que les Etats-nations ne peuvent plus réaliser seuls. Protéger vraiment les victimes de l’adversité suppose d’élever les outils de la protection et de la solidarité à ce niveau, désormais le plus pertinent, et d’ajouter aux outils classiques de protection sociale ceux qui permettront de nous protéger de risques nouveaux, nés de la crise écologique.

Car ce New Deal européen n’a de sens que s’il prend pleinement la mesure des bouleversements écologiques en cours, et de leur accélération. Il devra permettre de hâter les transitions vers un développement beaucoup plus sobre, beaucoup plus économe. Bâtir ce New Deal, c’est engager une mutation radicale de nos manières d’habiter un monde radicalement différent. C’est permettre à tous de vivre autrement, et mieux. C’est bâtir une Union-providence, et ce sera le travail d’une génération.

UN NOUVEL IMAGINAIRE

Utopie ? Certainement pas. C’est même la voie la plus réaliste, celle qui prend la mesure des périls, non pour constater notre impuissance, mais pour porter nos réponses à la hauteur de ceux-ci. Elle supposera des investissements publics massifs – et des réorientations budgétaires conséquentes – dans les secteurs-clés de la transition : les transports, le bâtiment, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, l’agriculture (qui mobilise 40 % du budget européen), mais aussi l’éducation, la formation et la culture. Car c’est un nouvel imaginaire qu’il s’agit de nourrir.

Ce Green New Deal serait enfin une réponse à la crise du projet européen, qui n’est ni technique ni institutionnelle : l’Union peine à justifier sa raison d’être même aux yeux des citoyens européens parce qu’elle manque d’âme et de chair. Les gauches européennes, longtemps hésitantes à projeter dans l’espace européen les aspirations au mieux vivre qu’elles portent dans chaque nation, ont laissé le champ libre à des droites décomplexées, qui veulent bien de l’Europe comme zone de libre-échange, mais pas comme espace nouveau de régulations et d’émancipation des êtres humains. Aller plus loin que l’Europe (super) marché, comme le désire la majorité des citoyens européens, supposera que les gauches veuillent bien revisiter, là encore, quelques anciennes certitudes.

Je vois trois exigences majeures : d’abord, articuler enfin les complexités écologiques et sociales, et non jouer l’une contre l’autre face au désordre économique ; ensuite, faire preuve d’autant d’ambition que de réalisme, car c’est maintenant que les Européens attendent des réponses à leurs inquiétudes et leurs souffrances ; enfin, clarifier les alliances entre gauches et écologistes, accepter et assumer que les gauches ne seront efficaces demain que si elles sont transformées par l’écologie.

Finissons là, avec Franklin Roosevelt : "La mesure de ce que nous aurons accompli dépendra de notre capacité à mettre en pratique des valeurs sociales plus nobles que le seul appât du gain." L’élection de Barak Obama est une invitation à réussir, en Europe, pour l’Europe et pour les Européens, une mutation politique, culturelle et symbolique aussi puissante et inattendue que cette victoire américaine ; un appel à nous élever à la hauteur du monde qui vient.

Dominique Voynet, sénatrice (Verts) de Seine-Saint-Denis

2 Commentaires Post a comment
  1. fBranswyck #

    bonjour,
    Ni privatisations, ni nationalisations, avait claironné Tonton.
    A sa suite, les différents gouvernements, de droite et de gauche, ont joyeusement tricoté des financements et des ventes d’entreprises publiques.
    Joseph Stiglitz, il y a quelques années, avait répondu à une interview au monde. Il expliquait l’économie de "tuyaux" qui se mettait en place et prévoyait son extension: Des états, contre un abonnement, se chargeaient d’acheminer les produits vers les consommateurs, à l’image de l’eau. Ces systèmes, lorsqu’ils ne sont pas rachetés, sont maintenant copiés par les grosses entreprises.
    Les polémiques sur Joe le plombier pendant la campagne américaine ou le plombier polonais du TCE sont à cet égard significatives. Le système fuit de partout, et la multiplication des "tuyaux" le rend particulièrement difficile à réparer. Les crises actuelles ne sont-elles pas l’occasion de faire du clair dans tout ça, ne serais-ce que pour que les citoyens s’y retrouvent au moment de mettre le bulletin dans l’urne ?
    Qui remettra de l’ordre dans les canalisations? Combien de temps durera la coupure? Que se passera t-il si l’on ne fait que remettre du jus dans le cette usine à gaz?
    Diminuer la pression. Simplifier? Décroître??…
    Frédéric

    novembre 13, 2008
  2. New a voir Claude Taleb ! (la réalité)
    http://leblogdarouen.unblog.fr/

    novembre 21, 2008

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POUR UN NEW DEAL ÉCOLOGIQUE écologiste, conseiller régional de Normandie